L’interview de Philippe DUBUC réalisé lors de la 11 éme fête Céramique de la Genevraye.
Beauté et Humilité dans la Céramique | Rencontre avec Philippe Dubuc #17 sur Youtube
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Transcription Philippe DUBUC INTERVIEW
Anne : Ce n’est pas votre première interview, vous avez roulé votre bosse.
Philippe : Ah non, non, moi je suis très discret. Je suis un homme de l’ombre, je ne cherche pas la renommée. Je suis simplement heureux de travailler la terre, et c’est comme ça depuis presque 50 ans. Mais je n’ai pas vu le temps passer ; j’ai encore l’impression d’être un débutant. [00:23]
Anne : Vous recommencez toujours de nouvelles choses ?
Philippe : Oui, je vis des cycles de mort et de renaissance. C’est très beau, mais parfois aussi fatiguant. [00:40]
Comment êtes-vous arrivé à la céramique ? [01:13]
Anne : Comment êtes-vous arrivé là ?
Philippe : Ça a commencé avec de la pâte à modeler, quand j’avais 3 ou 4 ans, à l’école maternelle. Je me souviens du plaisir que j’ai eu en manipulant la matière. Ensuite, à l’école, j’ai passé mon temps à dessiner et peindre, de 10 à 18 ans. Je pensais devenir peintre. Mais après mon bac, au lieu d’aller aux beaux-arts, j’ai tenté la céramique en autodidacte dans ma cuisine, en faisant des pots en colombin. Puis, en 1975, j’ai rencontré un potier japonais à Paris. J’ai pris ses cours pendant trois ans, où j’ai appris à tourner et à préparer la terre selon la méthode japonaise. [02:21]
Qu’est-ce qui rend cette méthode japonaise particulière ? [02:34]
Anne : En quoi cette méthode japonaise était-elle particulière ?
Philippe : Les méthodes occidentales sont souvent très pédagogiques, on avance par étapes. Mon maître japonais, lui, prônait la patience et l’apprentissage par l’effort, petit à petit. Son enseignement se résumait en quelques mots : « Essayez et continuez. » C’est un mantra pour moi. Je continue d’essayer et d’avancer, dans la céramique et dans la vie. [03:07]
Vous travaillez encore sur le tour ? [03:35]
Anne : Vous travaillez encore sur le tour ?
Philippe : Oui, mais je travaille aussi avec des plaques de terre pour éviter les douleurs au dos et varier les positions corporelles. C’est une sorte de gymnastique du corps. Avec les plaques, je fais des vases, des boîtes, toutes sortes de pièces. [04:06]
Et vous continuez à peindre ? [04:06]
Anne : Et vous continuez à peindre ?
Philippe : Alors pour moi, si vous voulez, la manière dont j’émaille mes pots, ça s’apparente en fait à l’esprit et presque au geste d’un peintre. Oui, c’est ça. Donc je peins sur l’instant, sans idée préconçue et uniquement de manière spontanée. [04:16]
Anne : Avec les émaux ?
Philippe : Oui, avec tous les émaux. Disons que c’est là où je sens le plus de bonheur et de joie, de jubilation. Jusqu’à ce que j’ouvre la porte du four où, là, c’est parfois la déception totale. C’est vrai, pas à chaque fois, parfois une fois sur deux, parfois une fois sur trois, mais de toute façon, ça n’a pas d’importance. [04:41]
Anne : Pas à chaque fois ?
Philippe : L’important pour moi, en tout cas, c’est le plaisir que je prends à travailler la terre, à travailler l’émail, à être dans mon atelier, à écouter de la musique. [04:49]
Anne : C’est de faire.
Philippe : Si possible de la bonne musique. Et puis à remplir mes journées comme ça. [04:59]
Depuis combien de temps faites-vous cela ? [05:10]
Anne : Depuis combien de temps faites-vous cela ?
Philippe : Depuis ? Bah, depuis déjà quelques décennies… enfin, depuis 45 ans, oui. [05:10]
Et jamais eu de lassitude, jamais eu envie d’arrêter ? [05:18]
Anne : Et jamais eu de lassitude, jamais eu envie d’arrêter ?
Philippe : Non, jamais. C’est un besoin vital. Pendant la période du COVID, j’ai eu moins d’expositions ou de sollicitations. Alors, j’ai fait beaucoup de jardinage, de bricolage, des choses en suspens. Mais au bout d’un an, je me suis senti vide. Bien que je fasse des choses que j’avais besoin de faire et qui me rendaient heureux, il fallait tout de même revenir dans l’atelier pour retrouver vraiment ma place.
Vous avez eu plusieurs ateliers ? [05:59]
Anne : Vous avez eu plusieurs ateliers ?
Philippe : Non, j’ai un seul atelier, mais il est grand. [06:04]
Anne : Il est situé où ?
Philippe : En Eure-et-Loir, entre Rambouillet et Chartres. Je ne suis pas très loin, je suis au même niveau qu’ici, mais complètement à l’ouest. [06:10]
Alors vous continuez les expositions ? [06:17]
Anne : Alors vous continuez les expositions ?
Philippe : Oui, un peu. Je travaille à mon rythme. Je ne veux pas être surchargé d’expositions, mais si on m’en propose, j’y vais volontiers, sans frapper aux portes. [06:30]
Philippe : Oui, je suis trop renommé pour ça. [06:42]
Et vous continuez avec le grès ? [06:43]
Anne : Et vous continuez avec le grès ?
Philippe : Oui, uniquement du grès. J’ai fait un peu de porcelaine dans le passé, mais le grès me suffit. Je suis une ligne sans trop me disperser. [06:54]
Vous connaissez les potiers de La Borne ? [07:01]
Anne : Vous connaissez les potiers de La Borne ?
Philippe : Oui, je connais la plupart des potiers de La Borne. Je ne cuis pas au four à bois, mais au four à gaz. Avec mon four à gaz, je travaille d’une manière qui donne parfois des résultats assez comparables à ceux obtenus dans un four à bois. [07:11]
Et le métier de céramiste, avez-vous vu une évolution au fil des années ? [07:21]
Anne : Et le métier de céramiste, depuis que vous avez commencé, avez-vous vu une évolution au fil des années ?
Philippe : Énorme. Il y a deux types d’évolution. D’abord, il y a beaucoup plus de céramistes qu’avant, une sorte de prolifération, particulièrement dans votre génération. Beaucoup de jeunes femmes céramistes, souvent issues d’écoles plus ou moins bonnes, parce qu’on enseigne aujourd’hui des méthodes qui n’ont plus grand-chose à voir avec les traditions de la céramique, un peu rigoureuses, liées à un un certain esprit de sérieux. Aujourd’hui, c’est l’esprit canaille qui domine. On cherche à faire des objets qui plaisent, qui apportent un peu de joie dans le quotidien. [08:12]
L’enseignement de la céramique, tel qu’on le connaissait dans les années 50-60, était dans la lignée d’une tradition presque universelle. C’était aussi lié à un esprit de grande fraternité entre les potiers. On est une profession où les pratiquants sont chaleureux et solidaires. [08:31]
Philippe : Les pratiquants, si on peut dire, sont vraiment chaleureux et solidaires. Je suis un peu pince-sans-rire, mais en réalité, je suis quelqu’un de très sérieux. [08:45]
Anne : Un peu de légèreté aussi, bah oui.
Philippe : Oui, ne pas se prendre trop au sérieux. J’essaie de faire de belles choses, mais je ne me prends pas pour un génie. [08:57]
Anne : Vraiment frappé, hein ? Je suis arrivée.
Philippe : Non, non, mais c’est exceptionnel entre nous. [09:03]
Anne : Ça se voit que…
Philippe : C’est vrai, mais c’est pas donné à tout le monde. Enfin, tout ça, on enregistre pas, là. [09:05]
Anne : Ah bah, on va reprendre.
Philippe : Oui, dans les années 90, j’entrais dans l’atelier le matin, vers 8 ou 9 heures, et j’écoutais France Culture toute la journée. C’était comme une douce université. J’ai appris un milliard de choses, car moi, je suis quelqu’un d’assez « primaire » au départ, et maintenant… enfin, j’ai tant informé. [09:50]
Anne : Maintenant, il y a Internet. [09:56]
Philippe
C’est une boîte. Elle a été vendue à un ami, mais… non, je n’en ai pas d’autre. Mais elle est magique, elle est extraordinairement belle. Bah oui, mais c’est pas grave. Je veux dire, vous allez dans des musées pour voir des merveilles, je suppose ? Elles ne sont pas à vendre. C’est pareil, et là, c’est gratuit en plus. Non mais c’est vrai, je vous assure. Les céramiques dans les musées, d’ailleurs pas que les céramiques. Tout n’est pas merveilleux, mais on y va, on ne va pas que pour posséder. Le simple fait de voir les belles choses, c’est…
Anne
Ça nourrit.
Philippe
Quoi que ça m’intéresse plus ou moins, mais ce qui m’intéresse le plus, c’est la rencontre ou la quête, ou l’attention à la beauté de toutes choses. Que ce soit la beauté d’un enfant, d’un oiseau, de n’importe quoi. La beauté, la beauté, la beauté, la beauté. Après, le reste, ça vient. L’argent, tout ça c’est…
J’ai l’air d’un genre de type un peu philosophique ou désintéressé, mais c’est très profondément ancré en moi. J’ai une nature un peu en dehors du monde.
Anne
Pour avoir fait ce métier pendant aussi longtemps, en sachant qu’il est quand même assez compliqué, c’est cohérent avec ce que vous exprimez.
Philippe
Ah bah oui, oui, oui ! Et ce qui est fou, si vous voulez, c’est que jamais je n’ai pensé à la question de comment vivre tout en étant potier Chez moi, il n’y a même pas d’enseigne, pas de panneau de poterie. Je ne sais pas faire ces choses. Ce n’est pas une phobie administrative, mais j’ai une sorte de phobie commerciale. Vendre un objet, pour moi, c’est difficile. Alors, je suis obligé d’enrober ça avec des blagues.
Anne
Parfois, ça marche.
Philippe
Oui, parfois ça marche, parfois ça marche. Mais moi, je n’ai pas perdu mon temps.
Autant que la céramique, autant que la poterie, j’aime les potiers [00:12:02]
Philippe :
Autant que la céramique, autant que la poterie, j’aime les potiers.
Anne :
Et même les nouvelles générations ? [00:12:06]
Philippe :
J’ai un peu plus de… Mais ça, c’est la mentalité de vieux grincheux. On trouve que c’était mieux avant, non ? Le problème, c’est qu’aujourd’hui, tout le monde est avec un portable en permanence.
Le monde a sérieusement changé [00:12:41]
Philippe :
Mais le monde a profondément changé. Ce qui est merveilleux dans notre métier, c’est tout ce qui se passe au niveau des échanges, qui est magnifique, parce qu’il ya très peu de personnes dont l’égo est surdimensionné. [00:12:59]
Anne :
C’est vrai ? [00:13:01]
Philippe :
Oui, il y en a quelques-uns, mais la plupart, même les très bons, reste très humbles, et ça, c’est merveilleux. [00:13:07]
La poterie exige humilité et persévérance [00:13:09]
Anne :
C’est fou ça, parce qu’on est dans la terre, non ? [00:13:12]
Philippe :
Exactement, on est obligé d’avoir une certaine humilité. On prend plein de claques dans la figure, on rate beaucoup de choses, on espère, on désespère, on réespère. En fait, on est plus ou moins maso, on est plus ou moins timbrés, mais on est heureux de faire ça. Le simple fait de pratiquer ce métier, cette activité, c’est un privilège extraordinaire. [00:13:33]
Anne :
C’est une richesse. [00:13:48]
Pourquoi j’ai commencé la poterie [00:13:54]
Philippe :
Vous me posiez la question, comment j’ai commencé ? En fait, je pose la question à votre place, pourquoi j’ai commencé ? J’ai voulu, comme beaucoup, être en lien avec toutes les générations précédentes, des potiers d’Amérique du Sud, des potiers Nazcas. Vous connaissez la poterie Nazca péruvienne ? C’est 1000-2000 ans avant Jésus-Christ. C’est à tomber raide mort tellement c’est beau. Ces gens n’avaient rien, mais ils cherchaient une beauté spirituelle qui s’exprimait dans des formes très simples. [00:14:27]
Anne :
C’est universel. [00:14:29]
Philippe :
Voilà, c’est universel. Dans toutes les cultures du monde, que ce soit au Japon, en Chine, ou ailleurs, c’est ça. Et nous, on est les cousins, ou les arrière-petits-cousins de ces gens-là. On est lié avec eux par notre pratique, par nos attentes, par nos émotions, par notre désir. Et ça, c’est chouette parce que ça nous relie à un fil de l’humanité. [00:14:46]
Est-ce que votre pratique a évolué au cours des années ? [00:14:54]
Anne :
Est-ce que votre pratique a évolué au cours des années ? Par exemple, avez-vous commencé par l’utilitaire, puis vous êtes-vous tourné vers des pièces plus monumentales, plus décoratives, ou avez-vous toujours fait les deux ? [00:15:02]
Philippe :
Oui, ça a évolué. Au début, c’était surtout l’utilitaire : le bol, la théière, le pichet, l’assiette, etc. On le faisait dans un esprit qu’on appelait à l’époque le « mingei » dans la céramique japonaise, c ‘est-à-dire une esthétique dans l’utilitaire. Ce mouvement, parti du Japon, est arrivé en Occident grâce à des potiers comme Bernard Leach. L’idée, c’était qu’un objet utilitaire pouvait aussi être une œuvre d’art. Ainsi, une simple assiette ou un simple bol devient une œuvre d’art en fonction de la conception et de la manière dont on le crée. Pour moi, il n’y a pas de séparation entre utilitaire et non utilitaire. C’est une vision extérieure ; l’utilitaire peut tout à fait être élevé au rang d’art. [00:16:05]
Avec les expositions dans les galeries, j’ai commencé à faire des objets plus grands. Mais ce n’est pas parce qu’un objet est grand qu’il est forcément beau. Regardez les netsuke au Japon, de petits objets à tomber à la renverse de beauté. La taille de l’objet n’a rien à voir avec sa qualité ou son impact. [00:16:28]
Au fil du temps j’ai des objets qui embellissent le quotidien. Beaucoup de céramistes cherchent, comme moi, à apporter de la beauté dans la vie de tous les jours. Un joli bol, par exemple, peut créer un lien affectif. Les gens s’attachent à ces objets, et parfois, ils me disent qu’ils pensent à moi chaque jour en utilisant un bol que je leur ai vendu il y a vingt ans. [00:17:25]
Évolution artistique et recherche de la beauté [00:17:42]
Anne :
Vous avez donc évolué dans votre pratique ? [00:17:44]
Philippe :
Oui, j’ai toujours cherché à évoluer, à me transformer, et à changer ma manière de faire. Au fil des ans, j’ai traversé différentes phases, un peu comme les peintres avec leurs périodes bleues, roses, etc. Aujourd’hui, je suis dans une période presque « psychédélique » en termes de couleurs et d’émaux. La beauté des émaux suffit à elle seule, pas besoin de substances pour s’évader. [00:18:14]
Je tente de charger mes pièces de beauté, de les remplir de cette quête esthétique. C’est une démarche naturelle, plus une joie de faire qu’une volonté exploitée. [00:19:02]
Anne :
Eh bien, merci beaucoup pour ce partage, c’est magnifique. [00:19:06]
Philippe :
Moi aussi, je suis très content. J’espère que vous aurez beaucoup de succès avec vos abonnés ! [00:19:13]
Anne :
Merci, et oui, on se tient au courant. Vous avez un compte Instagram ? [00:19:24]
Philippe :
Bien sûr ! Malgré mon âge, j’ai un compte. Je l’ai ouvert il ya quelques mois, et j’ai déjà 2 300 followers ! [00:19:40]
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